Hélène Raymond fait sa déclaration d’amour au fleuve

Hélène Raymond

On la connaît depuis longtemps, et son nom est pour le public synonyme d’agriculture, d’amour de la terre et de l’alimentation. D’un soleil à l’autre, La semaine verte radiophonique, Bien dans son assiette, ces émissions ont ancré sa voix dans nos oreilles, et nous ont fait découvrir des centaines d’artisans passionnés. Son plus récent livre, Portraits du Saint-Laurent, pose un regard éclairant sur notre fleuve nourricier et méconnu, et sur les gens qui en vivent.

Depuis longtemps, le projet mijotait dans sa tête. Après avoir écrit quelques livres qui ont étudié le rapport entre l’agriculture et le territoire, et comment la transformation agroalimentaire de proximité pouvait changer la dynamique d’une région, la journaliste a senti le besoin d’étendre ses recherches jusqu’à la mer.

« Autour de 2010, j’ai réalisé qu’on n’avait pas cette réflexion-là pour la pêche, qui est une industrie complexe et encore mal comprise », se souvient Hélène Raymond.

Après une longue gestation et l’abandon temporaire du projet — qui n’a jamais cessé de la hanter —, elle trouve enfin le bon angle, et rédige cette ode au fleuve en trois volets : la biologie des espèces, l’historique des pêches, et des portraits de pêcheurs et de pêcheuses, parce que oui, les femmes prennent maintenant leur place à bord, et souvent comme capitaines.

D’un couvert à l’autre, le lecteur sillonne le Québec maritime de Montmagny à Carleton et de L’Isle-aux-Coudres à Blanc-Sablon, en s’arrêtant bien sûr à Anticosti et aux Îles-de-la-Madeleine. Le livre est traversé par l’air salin, et magnifiquement illustré d’œuvres d’art dénichées par l’autrice, et de photos que les pêcheurs ont généreusement partagées avec elle, et qui amènent le lecteur là où il ne va jamais, au large des côtes, dans l’estuaire et le golfe immenses.

Achat local et préservation

Il y a près de 40 ans maintenant que le monde agricole a amorcé la réflexion sur son mode de gestion. Fermiers de famille, circuits courts, transformation artisanale sont des termes qui nous sont familiers. Pour les produits de la mer, tout reste à faire, mais des voix s’élèvent dans le Québec maritime pour que le public s’approprie les ressources précieuses du fleuve, qui pour l’instant prennent trop souvent le chemin de l’exportation. On pense à Colombe St-Pierre et son restaurant, à Sandra Gauthier et la Fourchette bleue, à Mélanie Lemire et Mange ton Saint-Laurent, à Dany Dumont, de l’Institut des sciences de la mer à Rimouski, et tant d’autres. Hélène Raymond y voit l’émergence des mêmes mouvements citoyens qui ont transformé l’agriculture, et qui nous obligent maintenant à nous questionner sur le modèle maritime.

Si les 50 dernières années ont vu l’industrie de la pêche être radicalement transformée par la modernisation des équipements et leur capacité de récolte décuplée, la journaliste souligne tout de même le caractère cyclique et délicat de la disponibilité de la ressource. La surpêche est une chose, mais les changements provoqués par la crise climatique, comme l’augmentation de la température de l’eau et son corollaire, la baisse de la concentration en oxygène, doivent aussi être pris en compte dans la gestion des stocks. « Heureusement, souligne Mme Raymond, aujourd’hui, la science et la pêche se parlent, et notre compréhension du Saint-Laurent évolue rapidement. »

Portraits du Saint-Laurent s’inscrit dans cette conversation entre les gens de la mer et nous. Le vieil adage qui dit qu’on aime ce que l’on connaît, et qu’on protège ce que l’on aime, s’applique encore une fois. La bataille pour la mise en place de circuits régionaux approvisionnant le marché intérieur, contre l’industrialisation sauvage qui mise sur des chalutiers toujours plus gros et sur la mondialisation du commerce des pêches, sera difficile. Mais nous avons ici l’expérience de pêches encore presque artisanales, comme celles du crabe et du homard, qui sont très bien gérées. Des usines de transformation à petite et à moyenne échelle sont encore présentes à proximité des quais de débarquement, qui aident à faire connaître nos produits au grand public. Hélène Raymond note que les choses changent progressivement : «Il y a des approches de précaution partout, une loi qui prône la préservation… le milieu est en bouillonnement constant. L’importance de développer le marché intérieur, c’est un discours qu’on entend de plus en plus, et des modèles se créent pour la mise en marché locale. »

Portrait du Saint-Laurent sera en librairie à compter du 28 mars. Hélène Raymond sera au Musée de l’agriculture et de l’alimentation (MQAA) de La Pocatière le 6 avril prochain à 15 heures pour un lancement dans sa région natale. Ce sera l’occasion de rencontrer l’autrice, et de faire connaissance avec la grande histoire du Saint-Laurent, et celle des pêcheurs qui vivent de sa générosité depuis plus de cinq siècles. « Nous avons encore des ressources sauvages et elles sont précieuses, conclut Hélène Raymond. Leur nombre fluctue, dans l’ordre naturel des choses; c’est à nous de faire preuve de souplesse et d’agilité pour les préserver. »

Portraits du Saint-Laurent sera lancé au MQAA le 6 avril prochain à 15 h.