« Après une longue réflexion », nous dit-on, mais sans consultation, pour appuyer leurs confrères de la Côte-du-Sud, pour alléger le trafic deux heures par jour, pour prévenir une interruption de la circulation commerciale sur les deux ponts existants, pour profiter d’un investissement majeur dans les transports.
Ce discours me laisse perplexe.
Première remarque un peu banale : advenant une interruption temporaire de la circulation sur les deux ponts existants, il me semble que les nombreuses traverses de Rivière-du-Loup à Matane d’une part, et les ponts de Trois-Rivières et de Montréal d’autre part, pourraient maintenir un lien vital entre les régions de Québec, du Saguenay et de la Côte-Nord avec le reste du Québec, sans parler de la navigation et de l’aviation. Le risque est donc hautement hypothétique.
Mais la question principale est ailleurs. Le raisonnement de nos maires serait sans doute valable si nous étions en 1960, alors qu’il fallait doter le Québec d’infrastructures de transport modernes pour entrer de plain-pied dans la révolution industrielle et sociale moderne. Mais il est moins convaincant en 2025, alors que les transports, plus particulièrement l’auto individuelle et le camionnage, sont responsables de 40 % de nos émissions de gaz à effet de serre, et donc de notre contribution au réchauffement du climat, qui nous menace d’extinction.
Malheureusement, contrairement à ce que l’industrie automobile et nos politiciens tentent de nous faire croire, l’auto, le pick-up ou le camion électrique ne sont pas la solution à ce péril planétaire qui nous pend sur la tête. On sait pertinemment que les économies de GES que permet la conduite d’un véhicule électrique sont plus qu’annulées par les émissions de GES que requièrent sa construction (pensons seulement aux batteries), son alimentation en électricité, et l’entretien du réseau routier. L’auto électrique ne réglera pas non plus la congestion urbaine.
Tous ceux qui « réfléchissent longtemps » savent que la solution est davantage à chercher dans les transports en commun, et plus efficacement encore dans une décentralisation de l’activité économique et sociale qui réduise de plus en plus les déplacements de marchandises et de personnes.
On en revient toujours là : pourquoi ne pas mettre l’effort et l’argent pour réduire la circulation de véhicules, créer des communautés et des quartiers de plus en plus autonomes et responsables, en lien étroit avec leur territoire? Nos cellulaires à eux seuls nous permettent aujourd’hui d’établir instantanément la communication avec n’importe qui n’importe où, et ainsi éliminer une grande partie de nos déplacements. Fitzgibbon avait raison quand il disait qu’il faudrait éliminer la moitié des véhicules qui circulent sur les routes et dans les rues.
Il faut sortir de la logique du progrès illimité — ou du moins, de ce que nous pensons être le progrès —, sortir de la concentration sans fin des activités et des populations dans les villes et les banlieues, de la manie des voyages, de l’obsession du char et du pick-up, des maisons trop grandes, des vêtements jetables, du gaspillage alimentaire, de l’hystérie des emballages et des déchets, du besoin de manger des fraises en janvier et des tourtières du Lac-Saint-Jean à Montréal.
Nous avons autour de nous tout ce qu’il faut pour être heureux et vivre longtemps sur cette planète. Pas besoin d’un troisième lien pour nos autos et camions électriques, au coût de milliards dont nos écoles, nos hôpitaux et nos sans logement auraient bien besoin.