Je suis un enfant du disco, un pur produit des boules miroirs. Encore aujourd’hui, je peux fredonner Stayin’ Alive sans manquer une note ni un battement de hanche. Je l’ai dans le sang et les nerfs, même si les articulations me craquent un peu plus qu’avant. Dans les années 80, DJ Marc était un incontournable. Hé ! oui, j’ai toujours été modeste. J’étais dans mon élément derrière les platines, inspiré par les vedettes du moment, les animateurs de radio comme Douglas Léopold, qui dictait la marche à suivre pour être in.
En revenant de l’université, à Montréal, dans mon walkman jaune j’écoutais CKMF pour entendre ses potins, ses conseils sur les clubs à la mode, et surtout les nouveautés musicales. Douglas incarnait la fête, le jet set, la démesure d’une époque où le glamour et la sueur cohabitaient sur les planchers de danse. Puis, un jour, comme le disco, il est mort.
Enfin, « mort », entre guillemets. Parce que sur Facebook, Douglas est ressuscité. Un fantôme numérique publie sous son nom des photos d’époque, des souvenirs de bars légendaires, des anecdotes comme s’il était encore là, à commenter l’actualité du monde de la nuit. Et le pire ? Ça marche ! On aime, on partage, on s’émeut. L’illusion est parfaite. Pourquoi ? Parce que nous avons envie d’y croire.
C’est le même phénomène avec Tina Turner, Donna Summer ou Michael Jackson. Leurs comptes publient encore des mises à jour, leurs visages apparaissent dans notre fil d’actualité, comme s’ils préparaient un nouveau hit ou une nouvelle tournée.
Toujours est-il que…
Ce n’est que le début du bal. Pendant qu’on danse sur nos souvenirs, Google nous observe, archive, analyse. Chaque phrase, chaque message sur Messenger, chaque opinion jetée sur les réseaux, chaque blague douteuse envoyée à un ami tard le soir… Tout est conservé. Depuis des années, je me fais analyser comme un spécimen en laboratoire, et aujourd’hui, il semble qu’un algorithme soit prêt à me remplacer.
C’est simple : grâce à l’accumulation de données, une intelligence artificielle pourra bientôt discuter avec vous comme si c’était moi. Une amie part au paradis ? Pas grave. Vous pourrez continuer de lui envoyer des messages, elle pourra vous répondre avec le même ton, les mêmes expressions, le même rythme de conversation. Et on n’y verra que du feu.
Le plus drôle, c’est qu’on est déjà rendu là. On se voit moins dans la vraie vie, et nos absences sont plus remarquées sur les réseaux sociaux que dans le vrai monde. Vous ne commentez pas une publication depuis une semaine ? On s’inquiète. Vous ne passez pas au casse-croûte du coin depuis un an ? Personne ne s’en rend compte. Qu’on soit mort ou vivant, si notre Facebook continue de fonctionner, on est encore là, bien actif, bien vivant… et toujours disponible pour une discussion sur le bon vieux temps.
Et c’est là qu’on réalise : dans cet univers numérique, nous sommes tous immortels. Rien ne disparaît jamais. Nos conversations, nos photos, nos opinions de 2011 sur le dernier album d’Adèle. Tout reste là, prêt à être recyclé, réutilisé, et même ressuscité sous forme de robot conversationnel intelligent.
C’est ça, le miracle moderne : l’éternité à portée de clic. On s’en va tranquillement vers un monde où la mort devient un simple problème de connexion Internet. Un jour, peut-être que vous tomberez sur une publication de moi, avec une photo vintage, un souvenir de soirée disco. Peut-être que vous aimerez, partagerez, commenterez, sans trop vous demander si c’est bien moi ou un avatar numérique bien dressé.
Et franchement, qu’est-ce que ça change ? Tant que la musique joue encore, que ça danse et que la boule miroir disco tourne, pourquoi arrêter ? L’immortalité, c’est peut-être juste une question de bon éclairage… et d’un bon algorithme.