Placotons : Prêcher par excès de neutralité

Mairie de Saint-Roch-des-Aulnaies. Archives Le Placoteux.

Autant nos maires ont longtemps été réticents à parler regroupement municipal, autant ils sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à vouloir mettre le pied sur l’accélérateur. Depuis que la pénurie de main-d’œuvre a déclenché une forme de jeu de chaises musicales entre les municipalités, ne serait-ce que pour les postes à la direction générale, l’évidence de se regrouper pour offrir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail aux employés municipaux est devenue la nouvelle panacée.

Il faut d’abord dire que la situation doit sûrement être devenue difficilement tenable pour qu’on en parle de façon aussi décomplexée, surtout au Kamouraska, où certains maires semblaient, jusqu’à tout récemment, encore s’accrocher à leur mairie comme des rois à leurs petits royaumes. Ainsi, on étudie, plus que jamais. Dans L’Islet-Nord, les démarches ont commencé il y a deux ans. Dans Kamouraska-Ouest, il y a plus d’un an. Dans Kamouraska-Est, on y pense, mais tous ne sont pas prêts. Et si les résultats nous laissent sur notre appétit, on pousse l’audace jusqu’à relancer un processus qui doit aller plus en profondeur, comme dans L’Islet-Nord. 

Dans toutes ces démarches, nos MRC demeurent neutres pour le moment. Elles regardent le train passer sans trop se remettre en question. Le conseil des maires est dans une position délicate, avouons-le. Les municipalités sont des gouvernements souverains. On préfère donc se taire et attendre de voir ce qu’il adviendra de toutes ces études, autrement dit « traverser le pont quand on sera rendu à la rivière », pour reprendre les mots de la préfète de L’Islet, Anne Caron, questionnée sur le cas de Saint-Roch-des-Aulnaies qui, rappelons-le, pourrait aboutir au Kamouraska advenant un regroupement avec La Pocatière. 

Réfléchir

Une réflexion plus large devrait quand même être enclenchée, car l’avenir des MRC est intimement lié à celui des municipalités qui les composent. Une municipalité qui quitte le navire, c’est moins de quotes-parts, cet argent précieux qui provient des poches des citoyens et qui sert à payer les services « de base » des MRC, qui ne sont pas liés à des projets temporaires quelconques financés à partir de subventions gouvernementales. Pas plus tard qu’en mai dernier, Anne Caron soulignait que sa MRC se devait d’être plus attractive pour conserver son personnel, alors que six postes étaient à pourvoir au sein de l’organisation, notamment celui de la direction générale. Une municipalité en moins, c’est aussi moins de contribuables pour financer cette « attractivité ».  

 

La question reste donc entière : la MRC de L’Islet, déjà une des plus petites au Québec avec 14 municipalités, serait-elle encore viable à 13 municipalités, advenant le regroupement de Saint-Roch-des-Aulnaies avec La Pocatière? Serait-il encore pertinent de la maintenir, ou ne devrait-elle pas réfléchir à son tour à fusionner, peut-être avec Montmagny, avec laquelle elle entretient déjà des liens étroits sur plusieurs fronts? 

Allons plus loin. Si la piqûre des regroupements s’étendait finalement à toutes les municipalités d’une même MRC, au point où on pourrait se retrouver à terme avec deux ou trois nouvelles villes en son sein, maintenir un conseil des maires avec aussi peu de représentants autour de la table ne serait-il pas risible? Nous sommes dans la politique-fiction, direz-vous, mais n’est-il pas de la responsabilité des élus de réfléchir à ces questions, aussi impopulaires soient-elles pour le commun des mortels, avouons-le, mais qui dictent au quotidien l’organisation et le fonctionnement de nos territoires d’appartenance? 

Lac-des-Aigles

Réfléchir à l’avenir de nos MRC est d’autant plus pertinent que la Commission municipale du Québec vient de recommander à la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest de donner suite à la demande de regroupement des municipalités de Saint-Guy et de Lac-des-Aigles. Question de vous situer, Saint-Guy se trouve dans la MRC des Basques, alors que Lac-des-Aigles est au Témiscouata. Constituée de 11 municipalités, la MRC des Basques n’est guère plus petite que celle de L’Islet. Dans sa recommandation, Sylvie Piérard, membre de la Commission municipale, suggère que les deux municipalités soient regroupées, qu’elles prennent le nom de Lac-des-Aigles, et que la nouvelle entité soit rattachée à la MRC de Témiscouata. La proximité de leurs territoires, et les services et commerces communs qu’utilisent les citoyens de ces deux localités limitrophes, mais de MRC différentes, justifie selon elle le regroupement. 

Difficile de ne pas y reconnaître le cas de Saint-Roch-des-Aulnaies, L’Isletoise de territoire, mais dont on dit souvent qu’elle est Kamouraskoise de cœur pour une forte proportion de sa population. Il suffit de se rappeler le tollé soulevé par le barrage routier de la COVID-19, imposé au début de la pandémie à l’entrée du Bas-Saint-Laurent, pour se remémorer combien il est naturel pour les communautés aulnoises et pocatoises de se fréquenter au quotidien. 

Dans le cas des Basques, la MRC s’était opposée au regroupement de Saint-Guy et de Lac-des-Aigles par le biais d’un mémoire. On suggérait d’autres regroupements possibles pour Saint-Guy, tout en rappelant la précarité territoriale de la MRC des Basques, l’un des plus petits territoires au Québec. Qu’adviendra-t-il désormais de cette MRC si la fusion se réalise? Pourrait-elle se joindre à Rivière-du-Loup, une chose ayant été évoquée par le passé? Le statu quo est-il réellement envisageable? 

Saint-Roch-des-Aulnaies n’est encore qu’au stade d’étudier, d’un bord comme de l’autre, et la MRC de L’Islet n’y peut rien. Cela ne devrait toutefois pas l’empêcher de réfléchir à toutes les options, plutôt que de regarder le train passer. Dans le cas qui nous intéresse, les citoyens seront ceux qui auront le dernier mot, par référendum. Que la décision vienne d’en haut (Québec), ou d’en bas (le peuple), toujours est-il que ce genre de rebrassage territorial est tout sauf commun au Québec. Quand on ne contrôle pas la situation, vaut mieux prévoir toutes les éventualités avant d’être placé devant le fait accompli.